VENDREDI PAS PHILO
L'esprit canal est-il devenu apathique?
Jeudi 21 février, au Grand journal de Canal +, on a pu voir Jean-François Kahn et Jean-Michel Apathie se rentrer dedans. En un sens, ça fait du bien de re-voir un de ces moments de télévision devenus si rares, et que l'on ne nous ressert guère que dans les classements des "101 quelque chose" de Christophe Dechavanne. Ces moments de direct semblaient perdus dans les annales de l'INA des années 80. Ce serait donc bien "l'esprit canal", spontané et libertaire, qui se serait ainsi exprimé.
Mais en un autre sens, on a pu assister à un pur moment de rentrage dans le rang de Canal +.
Rappel : il y a quelques jours, dans le même Grand journal de Canal +, Jean-Michel Apathie (JMA) faisait sa chronique sur "l'appel à la vigilance Républicaine", publié par Marianne. L'idée de Jean-Michel Apathie, c'est que le Président Sarkozy n'ayant jamais attenté, de manière effective, aux institutions de la 5ème République, il est à la fois faux et exagéré de parler de "monarchie élective", pour qualifier la tendance que prend l'exercice de son pouvoir. C'est pas faux. Et Jean-Michel de conclure : "comment peut-on dire autant de bêtises en aussi peu de mots ?". L'invité du jour, Xavier Bertrand, se délecte!
Faisant manifestement valoir un droit de réponse, Jean-françois Kahn (JFK) était invité hier soir, jeudi 21 février, pour s'expliquer. Le ton monte (et ça vaut le détour) : JMA reproche à JFK d'adopter le présupposé de gauche selon lequel la droite ne serait pas Républicaine, et JFK prétend que JMA est un Sarkozyste, dont les chroniques expriment largement les opinions politiques (mais bon, faut le voir, c'est visuel!).
Alors soyons clairs : Jean-Michel Apathie était très énervant (et énervé), sur le fond, comme sur la forme.
Sur le fond, il affirme qu'il n'a jamais laissé paraître ses opinions politiques, et qu'il est resté toujours "objectif". C'est faux, et ce n'est pas possible. D'abord, c'est faux, parce qu'on ne peut que constater son attitude condescendante et méprisante, lorsqu'il reçoit une Ségolène Royal ou un Olivier Besancenot, tandis que dans le même temps, il passe une bonne boîte à cirage aux membres du gouvernement qui défilent au Grand Journal. (Là aussi, il faut voir!) Ségolène Royal est qu'une pauv' conne qui fait des critiques sans fondement, et Besancenot n'est qu'un révolutionnaire qui ne dépassera jamais les 5%, parce qu'il veut pas s'associer aux communistes. Je dis pas que dans le fond, c'est faux (et même c'est assez vrai), mais en bref, face à ces invités, on assiste toujours à un procès "à charge". Dans le même temps, on rit avec copain Bertrand des conneries de Jean-François Kahn.
Ensuite, ce n'est pas possible de ne pas avoir d'opinion! D'ailleurs, Jean-Michel Apathie rappelle qu'il a des convictions, notamment que Nicolas Sarkozy n'a jamais porté atteinte à la constitution. On pourrait ajouter aussi qu'il trouve que "l'appel" de Marianne est un tissu de bêtise. C'est objectif, ça ? Ce que je veux dire : l'objectivité ça n'a pas de sens. Comment peut-on faire une chronique politique, affirmer que des choses sont bonnes, d'autres mauvaises, distribuer des bons points et des certificats de bonne conduite, en disant ensuite qu'on n'a pas d'opinion. Si c'est pas son opinion personnelle qui lui fait distinguer le bien du mal, c'est quoi ? La raison pure ? La vérité révélée par Dieu ? Lui seul serait la vérité ? Au nom de quoi prononce-t-il ses jugements ? L'idée qu'il peut y avoir des commentaires "objectifs" est absurde. Des informations, je veux bien, mais pas des commentaires ni des évaluations. Le journaliste Jean-Michel Apathie, dans sa chronique, ne donne pas des informations, il prononce des jugements de valeur. Il a le droit. Mais qu'il ne vienne pas dire que ces jugements sont objectifs! A la limite, "la porte est verte" ou "2+2= 4", c'est un jugement objectif, et encore! Mais "comment peut-on dire autant de bêtises", on voit mal en quoi c'est objectif. Par rapport à quoi ?
Mais c'est surtout sur la forme que ça puait. Comme si JMA ne pouvait pas se défendre tout seul (et je pense qu'il le pouvait et qu'il le voulait), toute l'équipe du Grand Journal lui est tombée à bras raccourcis sur JFK, Michel Denisot en tête.
Ariane Massenet à JFK : "vous allez un peu loin, là. Ce sont des attaques personnelles."
Michel Denisot à JFK : "Vous allez trop loin, là. JMA n'a jamais dit que vous étiez un imbécile. Vous êtes un menteur".
Alors là, c'est faux et c'est injuste. C'est faux qu'il s'agit d'attaques personnelles : JFK s'est battu au niveau des idées, et n'a pas traîté JMA de quoi que ce soit. En revanche, le contraire n'est pas vrai. "Comment peut-on écrire autant de bêtises". C'est vrai, ça, c'est pas personnel, et ça veut pas du tout dire que JFK est un imbécile. Bah non, c'est pas le même mot!
Ensuite, c'est injuste : alors qu'au grand journal, on passe son temps à taper sur tout le monde, entre "le petit journal" de Yann Bartès et la question qui tue de je-sais-plus-qui. Comme le rappelle souvent Denisot pour ménager la susceptibilité des invités : "c'est très caustique, comme d'habitude". Donc, A canal, on a le droit de faire du caustique, de tirer sur tout ce qui bouge. Et JMA le premier, ne se gêne pas pour le faire. Tant mieux, c'est le ton de l'émission, et c'est l'esprit un peu "libre" qu'on vient y chercher.
Mais alors, la première politesse c'est d'accepter les contre-feux, et de ne pas crier au scandale et à l'attaque personnelle quand on réplique. Qu'est-ce que c'est que ces méthodes ? Qu'est-ce que c'est que cet esprit ? Alors, au Grand Journal on a le droit taper sur tout le monde, mais faut surtout pas taper sur les pauvres petits chroniqueurs du grand journal ?
Non mais, on est où, là ? 'Tain, ça m'énerve!!!