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Derechef
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22 janvier 2008

MARDI PHILO - II

Faut-il avoir peur de la bourse ? (Un encouragement à lire Marcel Gauchet)

L'actualité écrasante, c'est la crise boursière: New York, Tokyo, Bombay, etc. Et la récession, la décroissance, et tous ces mots qui annoncent l'Apocalypse économique. Il y a bien longtemps, les hommes pouvaient craindre la colère des dieux, puis le jugement dernier, et après encore les désordres politiques ou les dictatures. Désormais, c'est la santé du "marché" qui nous préoccupe.

Au cours d'une conférence qu'il a donnée mercredi 16 janvier 2008 au théâtre 95 de Cergy, comme dans l'ensemble de son oeuvre, Marcel Gauchet nous révèle ainsi que l'homme est sorti de la religion, si bien qu'il doit repenser tous les fondements sur lesquels il avait conçu sa condition en général et la politique en particulier. La religion c'est selon ce philosophe, une manière d'être plus qu'une croyance, qui consiste à se concevoir comme soumis à un être ou à une force "transcendante". Ce dernier mot un peu barbare ou technique signifie "qui nous dépasse". D'une part, au sens où Dieu serait en dehors et au-dessus du monde qu'il a créé, d'autre part, au sens où l'existence de l'homme serait dépendante du vouloir et du pouvoir de cet ëtre "suprême".

Il est vrai que depuis quelques siècles, la société occidentale et ses penseurs se sont progressivement débarrassé de l'idée de Dieu. Les philosophes politiques comme Hobbes ont ainsi tenté de définir et de justifier le pouvoir politique à partir de la nature humaine, et non plus d'un droit divin. C'est pour cette raison que l'on parle des droits naturels : il ne s'agit plus de se demander à quelles lois divines ou religieuses on doit se soumettre, mais quels sont les droits et les devoirs de l'homme, dans la seule mesure où sa nature est celle d'un être libre et doué de raison. Cette lente histoire a culminé dans la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905.

Or, comme le savent certains, dès lors qu'on ne pose plus l'existence d'un Dieu qui préside à la destinée de l'Histoire humaine, c'est tout le reste qu'il faut revoir : la politique, la morale, l'organisation sociale, etc.

Mais une question se pose alors : est-on vraiment sorti de la religion ? Ou n'a-t-on pas remplacé Dieu par le capitalisme ?

m_gauchetMarcel Gauchet répond, de manière tout à fait pertinente, que le capitalisme n'a rien de religieux : au contraire, dit-il, il est un rouleau compresseur de toute transcendance, "humain, trop humain". La toute-puissance de l'économie, du marché de la bourse, c'est la négation de toute transcendance, de toute spiritualité même, au profit d'une pensée uniquement tournée vers le matériel et la mécanique implacable de l'économie. C'est d'ailleurs ainsi que l'on présente la crise boursière: ceci entraîne cela, qui entraine cela, et par suite, c'est la récession.

Certes, mais, bien que le capitalisme soit humain et produit par l'homme, ne peut-on admettre quand même qu'il se présente comme une religion ? En effet, lorsque l'on nous parle du "marché" et de ses états d'âme, on semble quand même faire référence à une sorte de Dieu - LE marché est ainsi quasiment personnifié. La culture de la liberté, de l'autonomie gagnée tout au long de l'histoire semble se réduire à mesure que l'économie avance. Si l'on définit la religion comme la soumission au pouvoir et au vouloir d'un Dieu transcendant, duquel on dépend et contre lequel on ne peut rien ; qui préside à nos destinées et auquel on doit se soumettre, on pourrait dire que l'attitude des hommes face au capitalisme est bien religieuse. Le marché "se porte bien", "il a bien réagi", etc. Autant d'expressions qui semblent se référer à un nouveau pouvoir divin qui décide pour tout le monde. D'ailleurs, la gauche elle-même semble dire qu'on ne peut pas lutter contre cette réalité économique, et qu'on ne peut qu'en accompagner le développement. C'est une illusion, certes, mais elle existe.

Le meilleur tour que le capitalisme a pu jouer à tout le monde, c'est de faire croire qu'il était LA réalité, transcendante et impossible à enrayer. Faire croire qu'il n'était pas une idéologie, c'est-à-dire une certaine manière d'organiser la société parmi d'autres. Mais il en existe d'autres. Il est vrai que la réalité économique n'est qu'humaine et n' a rien de divin. Mais tant que ceux qui y ont intérêt le feront croire aux autres, ceux-ci jugeront inutile de changer le système.

C'est moi qui le dis.

NB: De Marcel Gauchet, on peut lire notamment, sur ces sujets, La religion dans la démocratie.      

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