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Derechef
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12 février 2008

MARDI PHILO - IV

A partir de quand le foetus devient-il une personne?foetus

Evidemment, l'actualité c'est Neuilly, Martinon et Sarkozy. Les éléctions américaines, aussi. Mais quelle leçon de philosophie voulez-vous faire là-dessus ? Quelque chose sur le rire chez Bergson, au mieux.

Mais l'actualité, c'est aussi une autre infomation moins pipole, mais beaucoup plus lourde de conséquences : Mercredi dernier, 6 février, la cour de cassation a jugé que les foetus de 16 à 22 semaines, morts dans le ventre de leur mère ou à la suite d'une interruption médicale de grossesse, avaient droit à un nom et des obsèques. Ce sont les parents d'enfants morts-nés entre 18 et 21 semaines qui avaient porté l'affaire devant les tribunaux, après s'être vus refuser l'enregistrement de leur enfant à l'état-civil (L'express du 6-2-2008).   

Quel est le problème ? Avant cette décision, la définition de l'enfant "viable", auquel on accordait une existence juridique, était, selon les critères de l'OMS : un poids de plus de 500 grammes et une grossesse de plus de 22 semaines. Une foetus mort en-deça de ces critères n'avait pas d'existence juridique. Par conséquent, les parents ne pouvaient le déclarer à l'état civil, et "l'enfant" était brûlé avec les autres "déchets" biologiques de l'hôpital.

Ces descriptions et ces débats juridiques posent évidemment une question : quand un foetus devient-il un "enfant", et pour tout dire, une "personne" ? Il faut admettre que ces questions bioéthiques sont très épineuses, et ne sont pas sans lien avec le problème de l'avortement. Car, selon la loi, l'avortement est un droit, tandis que la congélation des bébés Courjault est un crime. Quand passe-t-on de l'avortement à l'infanticide ? Quand passe-t-on du foetus à l'enfant ?   

Lorsque l'on se penche sur les textes, notamment juridiques, les distinctions si essentielles paraissent très arbitraires. Pourquoi fixer 22 semaines ? Les critères de la loi paraissent aussi peu justifiés que ceux retenus pour l'avortement. En effet, dans ce débat heureusement tranché en 1975, deux camps s'opposaient : d'une part, ceux qui refusaient l'avortement au nom de la vie humaine, pour des raisons bien souvent religieuses, d'autre part, ceux qui le défendaient au nom de la liberté de la femme à disposer de son propre corps. Alors, on a trouvé une solution intermédiaire, en autorisant l'avortement pendant les premiers mois de grossesse. Mais on comprend tous les problèmes que pose cette solution, dans la mesure où la limite fixée est très artificielle. Pourquoi, à 1 semaine près, un foetus n'est-il plus reconnu comme un enfant, mais comme une personne juridique avec un nom et des obsèques ? Qu'est-ce qu'une personne ?

Ces questions me rappellent un beau texte où le philosophe allemand Kant, penseur des Lumières au 18ème siècle, définit la personne. Peut-être y trouvera-t-on une réponse :

kant"Une chose qui élève l'homme infiniment au-dessus de toutes les autres créatures qui vivent sur la terre, c'est d'être capable d'avoir la notion de lui-même, du Je. C'est par là qu'il devient une personne (...) A cet égard, les animaux font partie des choses, dépourvus qu'ils sont de raison, et l'on peut les traiter et en disposer à volonté" (Anthropologie du point de vue pragmatique, I, §1).

Une personne, c'est donc un être "pensant" et conscient. D'une part, cela lui permet de se penser lui-même, d'autre part, et par conséquent, cela le rend raisonnable. En effet, un être capable de réfléchir sur lui-même, peut par conséquent juger de la valeur de ses propres actes, réfléchir à ce qu'il fait, écouter sa raison plutôt que ses instincts. Et Kant précise d'ailleurs que l'enfant, même s'il n'a pas encore clairement cette conscience de soi (cette pensée du je), la sent déjà. C'est pour toutes ces bonnes raisons qu'on ne peut pas traiter un être humain comme une chose, qu'il existe un respect de la vie humaine. Une table ne pense pas, ne ressent pas la douleur et le plaisir, on peut donc la détruire. C'est plus discutable pour l'animal, mais admettons qu'un animal n'a pas la conscience de soi (d'ailleurs, si on le croyait, on ne leur mettrait pas de laisse!).

Cette définition fondamentale de la personne est très pertinente : elle instaure une rupture indiscutable entre l'homme et les autres êtres, et lui confère des droits. Le problème, c'est qu'on ne voit pas bien à partir de quand reconnaître cette faculté. Un enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de raison n'est-il pas une personne ? Non.

En bref, on comprend que la loi et la philosophie même ont du mal à trancher. Car il est certain que l'enfant est déjà disposé à avoir la conscience de soi. Même s'il ne l'a pas encore, il la développera. Et le foetus ?

J'avoue ne pas avoir de réponse à tout cela, et je n'offre ces remarques que dans le seul but d'aider chacun dans sa propre réflexion. Il est certain qu'il faut défendre le droit à l'avortement. Mais le meilleur moyen de le faire, c'est de réduire le flou qui existe dans la définition de la personne, sinon, c'est la porte ouverte à tous les fanatiques religieux qui voudraient revenir en arrière. En effet, dès lors que l'on reconnait l'existence juridique d'un enfant mort-né à moins de 22 semaines, comment ne pas voir l'occasion offerte à certains de reconnaître l'avortement comme un crime ? Il faudrait se mettre d'accord. Le problème, c'est la contradiction qui émerge de ces différents textes juridiques. L'urgence, c'est de la résoudre.

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Commentaires
C
Peut-être que mes données sources sont inexactes, mais je ne trouve pas mon erreur de calcul. Cela étant, comme tu le dis ça ne change rien au fond.<br /> <br /> Hier soir dans l'émission de Frédéric Taddéï, il y avait un gars super sérieux qui parlait du nombre de sépultures qu'il faudrait envisager à chaque fois qu'un adolescent se pignole (je crois bien que Reiser avait fait un dessin sur la même idée), pour rester dans le même genre de galéjade.<br /> <br /> Cela dit, j'espère que le législateur va se dépêcher de mettre les points sur les i avant que les barbus de tout livre ne se ruent dans la brèche de la jurisprudence.
S
il faudrait réapprendre à compter , vous vous emmêlez avec les semaines ; copie à revoir , le raisonnement est juste , mais les calculs sont faux ; mais ce n'est pas grave , car , si on continue , on enregistrera les serviettes périodiques , puisque , finalement , les règles ne sont rien d'autre qu'un espoir d'enfant qui s'envole ; je sais , je provoque , mais ça fait du bien , de temps en temps
C
En France l'avortement est légal jusqu'à 12 semaines. Dans d'autres pays d'Europe, on monte jusqu'à 22 semaines (Espagne, Pays-Bas, Grande Bretagne). Ce nombre de 22 semaines permettait d'éviter les quiproquos.<br /> <br /> Avec les arrêts de la Cour de Cassation, il, semblerait que ce soient tous les foetus qui puissent rentrer dans le cadre juridique lié au statut d'enfant sans vie, sans préciser le nombre de semaines d'aménorrhée (ce sont bien des foetus de 16 à 22 semaines qui ont été concernés par ces arrêts, mais rien n'a l'air d'empêcher de descendre plus bas). Or, si j'ai bien tout compris, il est admis que l'embryon devient foetus à 8 semaines (ça a l'air d'être la définition). Il y aurait donc bien une période de chevauchement de 4 semaines.<br /> <br /> Des commentaires de juristes ou de sages-femmes (j'en connais au moins une qui vient dans le coin régulièrement...) seraient les bienvenus.
C
Comment définit-on la tabléité de la table ? A partir de quand est-elle table ? Le morceau de bois que l'on rabote pour en devenir le plateau n'a pas conscience de son devenir-table, mais le ressent-il d'une manière ou d'une autre ? Et même s'il le ressent, est-il pour autant déjà table ?<br /> <br /> Désolé...<br /> <br /> Pour revenir au sujet, je n'avais pas remarqué que la conjonction des semaines pendant lesquelles on peut avorter et des semaines à partir desquels on pouvait désormais avoir une existence juridique formait un ensemble non-vide. C'est vrai que ça va poser des problèmes, et qu'on peut s'attendre à ce que les anti-avortement s'engouffrent allègrement dans la brèche, et qu'il est par conséquent effectivement urgent de résoudre la contradiction. Ca paraît même tellement énorme que je vais de ce pas vérifier tes chiffres.
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